Déforestation : la machette, alibi pour la tronçonneuse ?

Et si les paysans, accusés d’être les principaux responsables de la déforestation, n’étaient pas les seuls en cause ? Une analyse fouillée d’un sujet très controversé au Laos.

    Ce texte a été rédigé en 1995, en réaction à un document de travail du PNUD-Vientiane préparant le cadre de travail des agences de l’ONU au Laos. Les auteurs semblaient entretenir une confusion grossière et dangereuse sur les causes de la déforestation, présentant le paysan comme le véritable ennemi de la forêt. Cet article a également fait l’objet de publications dans les colonnes du Vientiane Times.

Quel est l'impact de l'agriculture de défriche-brûlis sur l'environnement au Laos ? Tout dépend de ce que l'on définit par déforestation. 380 000 hectares de forêts sont défrichées et brûlés chaque année. Ces chiffres, brutaux et d'une fiabilité statistique probablement douteuse, ne seront pas contestés ici : chaque année, des milliers d'hectares de forêts sont effectivement brûlés par les agriculteurs. Mais de quelle forêt parle-t-on ? La déforestation des forêts primaires, les seules vraiment intéressantes en tant que ressources naturelles, n'est que marginalement le fait des agriculteurs. Ils n'empiètent sur ce domaine naturel, exempt d'interventions humaines, qu'au rythme de la croissance démographique. Certes, l'impact est croissant, mais ne concerne pas les milliers d'hectares décrits dans différentes littératures.La défriche-brûlis au Laos présente des aspects très différenciés d'un groupe social à l'autre. La gestion foncière très organisée et stricte des Phounoy de Phongsaly aboutit d'abord à l'expulsion de main-d'œuvre vers d'autres régions, avant que ne s'accélère le rythme de la rotation de défriche. L'écosystème n'est plus naturel, il s'agit de forêts secondaires régulièrement défrichées, mais la stabilité du milieu n'est pas compromise à court et moyen terme. Sur le Plateau des Bolovens, il s'agit d'une déforestation pionnière où les zones caféières sont conquises sur la forêt primaire. La destruction des ressources naturelles a alors conduit à un système de production agricole pérenne de cultures de rente. C'est une situation comparable dans la plaine de Vientiane, avec l'aménagement de nouvelles rizières aux dépens de la forêt primaire dans les districts de Saythani et de Toulakhom. Dans d'autres régions, entre ces deux extrêmes, les paysans défrichent chaque année une forêt secondaire, c'est-à-dire un espace déjà conquis sur l'écosystème naturel depuis des années et mis régulièrement en culture, selon un cycle de 20, 15, 10, 7, 5 ou 3 ans. Cette formation secondaire, selon la durée de la friche, présente soit l'aspect d'une forêt, soit d'un taillis touffu, soit d'une brousse arbustive. Elle est toujours biologiquement moins riche que la forêt primaire. Cette forêt secondaire est un espace agricole, anthropisé, au même titre qu'une rizière et qu'un pâturage. L'agriculture de défriche-brûlis et son écosystème ne sont cependant pas pérennes comme peut l'être une zone de rizières. La croissance démographique oblige à régulièrement augmenter les surfaces cultivées et donc soit à accélérer le rythme de la défriche, soit à conquérir de nouveaux espaces. Dans le premier cas, si la durée de la friche est trop courte, la fertilité des cultures est menacée : la biomasse n'a pas le temps de se reconstituer alors qu'elle constitue, une fois minéralisée lors du brûlis, la réserve d'éléments fertilisants préalable au semis. Le risque est alors d'une exploitation minière du sol (surexploitation de la fertilité sans possibilité de reconstitution) et de sa destruction (savanisation et destructuration, causes d'érosion). Dans le second, la défriche s'attaque à des forêts primaires ; il s'agit là d'une vraie déforestation. Notons que sans déforestation, il n'y aurait jamais eu d'agriculture...En conclusion, l'agriculture ne s'attaque aux écosystèmes naturels (primaires) que sur un rythme inférieur à la croissance démographique de la population agricole. L'impact est certain, mais limité. Le discours systématique sur les agriculteurs destructeurs de forêts, manifestement erroné, serait sans conséquence s'il ne servait pas, sciemment ou non, des intérêts particuliers. L'exploitation forestière légale est une des principales ressources de devises du pays. A celle-ci s'ajoute l'exploitation illégale, qui doublerait les volumes exportés. Or quel type de ressources intéressent les forestiers ? S'agit-il des formations secondaires, pauvres et composées d'arbres jeunes, voire d'arbustes, ou bien s'agit-il des forêts primaires, avec leur multitude d'espèces ligneuses d'arbres pluricentenaires ?L'exploitation forestière, à l'exception de la gestion de périmètres plantés monospécifiques (teck, résineux), touche uniquement les forêts primaires. Mal menée, mal gérée, elle aboutira aux mêmes résultats qu'en Thaïlande : la disparition des formations naturelles. En confondant dans un même calcul les chiffres de la défriche des formations secondaires, surfaces agricoles très étendues, et ceux de la déforestation stricto sensu (destruction de forêts primaires), on minimise le rôle des entreprises d'extraction de bois pour accuser un groupe social sans défense, les agriculteurs.

Olivier Ducourtieux

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