EXISTE-T-IL ENCORE POUR LES LAO

UN ESPOIR ET UNE CHANCE

DE RECONCILIATION ET DE REUNIFICATION NATIONALES ?

par Kham-Ouane RATANAVONG

Paris le 29-11-1989

Réconciliation et réunification nationales sont devenues des thèmes à l'ordre du jour pour plusieurs peuples victimes d'une longue division politique, assortie parfois de partition territoriale. Et cela n'est devenu possible qu'après que nombre de régimes communistes aient reconnu leur faillite et capitulé un peu partout, devant la montée des peuples en révolte, ou manifestant massivement leur rejet du système.

Après les Allemands qui ont superbement réussi leur réunification, à la suite des Coréens et des Cambodgiens qui se dépensent encore pour le même but, les Laotiens ne doivent-ils pas songer, eux aussi, à régler leur problème analogue ? La question, il est vrai, n'est encore dans aucun ordre du jour officiel. Mais, je crois qu'elle peut être posée à tout moment, tant qu'il y a des gens qui y pensent, tant que le problème paraît encore pensable et qu'il ne s'est pas encore écoulé trop d'années. Car l'implantation prolongée des expatriés lao en terres étrangères va être d'une telle stabilité, qu'il ne pourra plus être question pour eux de se déraciner à nouveau pour un éventuel retour, de surcroît plein d'aléas, au pays de leurs ancêtres.

Du côté des dirigeants lao à Vientiane, on n'aperçoit guère de signes ni de gestes encourageants. Quelques officiels de passage à Paris, y compris M. Kaysone en décembre 89, ont cependant évoqué le problème. Mais ce ne furent que des paroles démagogiques, en vue d'inciter les expatriés lao les plus intéressants, disons les plus fortunés, à aller investir au Laos, à la faveur des nouvelles mesures économiques et financières prises à Vientiane. En tout cas, rien de vraiment objectif ni d'original dans leurs avances, sauf induire les plus nostalgiques et surtout les plus crédules d'entre nous, à retourner sans condition au pays et faire acte de soumission au nouveau pouvoir. Précisions que ce dernier est monopartite et met tout en œuvre pour le demeurer. La Constitution qu'il vient d'accoucher le confirme. C'est juste un semblant de légalité démocratique que le régime veut donner à la manière dont il entend continuer à régenter la vie du peuple lao. A preuve, les toutes récentes arrestations en série à Vientiane, frappant les cadres pensants, pour leurs opinions non conformes. Les vieilles habitudes de 4O ans de stalinisme reprennent vite le dessus, tant que reste au pouvoir une équipe de dirigeants marxistes d'un autre âge, ou indéfectiblement liés à des intérêts non-lao.

Sans aucun doute, le problème de la réconciliation nationale lao mérite à tous les égards d'être attentivement exploré, dans l'intérêt de tous, des Lao eux-mêmes ainsi que de la Communauté Internationale qui ne cesse d'être très perturbée par le problème des réfugiés, et excédée par le casse-tête des "boat people". L'action humanitaire mise en œuvre par le HCR, dans le cadre d'un "Programme d'Action Global" comportant notamment le "Rapatriement Volontaire" de certains réfugiés du Sud-Est d'Asie, s'est avérée insuffisante, inefficace et même critiquable. De plus, cela n'a pas empêché de nouveaux départs. Le HCR à Genève, avec lequel la Communauté Laotienne est entrée en rapport depuis un an, par le biais d'un "Comité ad hoc", en est amené à considérer avec attention une recommandation lao préconisant la recherche d'une solution durable au problème des réfugiés lao, laquelle doit aller au-delà de l'action humanitaire, à la racine même du mal, se trouvant dans les pays d'origine, dans l'état d'âme des gens en général, etc.

Faute de pouvoir polariser l'attention du monde sur le sort du Laos, qui n'est ni un puits de pétrole, ni un point névralgique où se jouent de grands intérêts stratégiques, économiques ou financiers, nous persistons à croire que le phénomène des réfugiés du tiers monde, y inclus celui du Laos, n'est pas un moindre problème. C'est même une bombe à retardement qu'il faut tenter de désamorcer tant qu'il est encore temps. Si le cas du Laos paraît présenter des prémisses intéressantes pouvant favoriser un règlement global, nous espérons que notre présente analyse puisse contribuer tant soit peu à fournir des éléments utiles aux efforts de recherches entrepris à divers niveaux.

Y-a-t-il des éléments favorables et des atouts majeurs chez les Lao, permettant un certain espoir de réussir une fois de plus la réconciliation et la réunification nationales? Où se trouveraient des obstacles ? Existerait-il quelque perspective de les aplanir ou de les surmonter ?

A.- ATOUTS DES LAO ET AUTRES ELEMENTS FAVORABLES.

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A1.- Côté cœur, une certaine normalisation et le réchauffement des rapports familiaux entre les Lao des deux bords: les Lao sont entre eux un peu comme "l'eau et le vin".

Le régime actuel a évidemment essayé de récupérer égoïstement cette situation à son profit. Ceci mis à part, il n'est pas exclus non plus que cela puisse jouer en faveur des expatriés. En tout cas, tous les Lao y trouvent leur intérêt. A cet égard, on a pu remarquer l'existence de signes assez encourageants dans l'attitude générale des Lao, dans le resserrement des rapports familiaux. L'absence d'animosité et d'antagonisme absolu nous incline à un certain optimisme. Bien avant la Pérestroïka soviétique, les Lao des deux bords ont profité immédiatement du moindre dégel et des ouvertures de frontières pour se rendre mutuellement visite. Les va-et-vient nombreux entre Vientiane et les différentes capitales du monde où résident en grand nombre les expatriés lao, font déjà penser que les Lao sont entre eux, un peu comme "l'eau et le vin", que la réconciliation s'est déjà établie dans les faits, entre les familles et les gens du peuple, et qu'il n'y a que la "politique" qui les sépare encore. On ne peut guère dire la même chose de nos voisins qui font penser plutôt à " l'eau et l'huile ". (*1)

Il n'y a donc pas de cassure radicale entre les Lao. De plus, il semble que ces derniers ont encore en main de précieux atouts. Les bonnes volontés existant de par le monde feraient bien de noter ce fait, et comprendre qu'il y a sans doute tout intérêt à aider les Lao à régler rapidement, équitablement et peut-être à moindres frais leur problème, sans avoir à ballotter interminablement de capitale en capitale, ou de conférence en conférence. Corrélativement aussi, il ne semble pas qu'il faille absolument lier le problème lao à ceux de nos voisins, dans l'espoir hypothétique d'y trouver une solution d'ensemble accessoirement applicable au Laos. Il faut se rendre compte qu'il y a quelque chose de très spécifique chez les Lao, ainsi que dans leur Histoire, qu'il convient de mettre en évidence et essayer d'en tirer le meilleur parti.

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(*1) Ces constatations ont été soulignées dans la Lettre-Mémorandum du 29-11-89 adressée collectivement par la Communauté Laotienne à Mr. le Président de la République Française, lors de la venue en France de Mr. Kaysone Phomvihane. Nous invitons instamment nos lecteurs à relire attentivement la missive en question. Ils y trouveront en plus de nombreux éléments d'appréciation servant d'appui et d'éclairage au sujet que nous traitons ici.

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A2.- Des leçons utiles et même salutaires à tirer de notre Histoire nationale en général, et en particulier de notre Histoire contemporaine comportant de multiples tentatives de réconciliation et réunification nationales.

A2/1.- Aperçu sur le passé du Royaume du Lanxang.

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Un coup d'œil sur le passé tourmenté de l'antique Lanxang nous fait découvrir des faits essentiels. Une certaine communauté d'origine ancestrale, de langue et de culture a facilité dans une bonne mesure la tâche du Roi Tiao Fagnoum pour réunir sous sa seule bannière divers fiefs et Princes lao pour former un seul Etat. La forte organisation du Royaume sur les plans religieux, administratifs, social et militaire, a permis pour la première fois d'imposer et de faire reconnaître formellement par les pays voisins les frontières et limites territoriales indiscutables du Lanxang. Une civilisation originale s'est élaborée depuis le 14è siècle, avec des apports ethniques variés, donnant corps à une Nation Lao, sentimentalement et culturellement acceptée par les populations de la vallée du Mékong et de ses affluents, et reconnue par tous les autres peuples habitant cette vaste contrée de l'Asie.

Pays enclavé, le Lanxang a subi bien des malheurs, pillages, invasions, déportations de population, démembrements, rivalités internes, asservissements... Il pouvait jouer un rôle d'Etat-tampon entre plusieurs autres, tant qu'il était lui-même encore assez fort pour contenir et repousser les élans expansionnistes de certains grands voisins, sans avoir à appeler à son secours les troupes des autres pays. Mais, toujours convoité par tous, il demeurait une éternelle pomme de discorde, un terrain de luttes d'influences et de compétitions hégémoniques, dès qu'il s'affaiblissait et glissait vers la décadence.

Obligés de plaire à tous les grands voisins, d'envoyer à ceux-ci des tributs périodiques en signe d'allégeance, et de leur fournir des contingents d'hommes armés en cas de guerre, les Souverains lao en furent amenés la plupart du temps à louvoyer, afin de calmer les suspicions et éviter des représailles. Les personnages importants de l'entourage royal ne purent qu'agir de même, cultivant l'art du louvoiement, malheureusement souvent à leur propre profit. Les plus ambitieux et les plus roués d'entre eux furent souvent responsables d'influences néfastes sur la Personne Royale, en inspirant parfois des initiatives regrettables : actes de guerre, méfaits irréparables, etc. Un exemple au temps de Tiao Souligna Vongsa, les nombreux frères du Roi, virtuels prétendants au trône, victimes d'insidieuses calomnies, furent tous amenés à fuir, certains à s'exiler à l'étranger. Il s'ensuivit une longue et sombre période d'assassinats et de guerres de succession entre les descendants des princes royaux exilés, appuyés souvent par des troupes étrangères.

Leçons à retenir : l'habitude de louvoyer nous conduisit finalement à l'habitude de ne rechercher notre chance de salut qu'auprès de l'étranger, de ne faire aucun effort par nous-mêmes pour préserver notre indépendance, de faire peu de cas des œuvres et mérites proprement lao voués souvent à être dénigrés ou méconnus. Remettre notre destin entre les mains étrangères fut devenu notre réflexe quasi atavique, contre lequel peu de responsables politiques lao firent l'effort nécessaire pour résister. Cette intelligence tactique spéciale, même cultivée à son comble, n'a cependant pas évité au Lanxang de tomber dans le piège de l'asservissement. Tiraillé entre diverses influences, et avec la mentalité du " chacun pour soi " y aidant, le Lanxang se trouvait alors miné par des tendances centrifuges et régionalistes mortelles, qui le conduisirent à l'éclatement en plusieurs principautés devenues parfois rivales, s'accusant mutuellement de trahison. L'on se souvient de la séparation définitive de la Principauté de Champassak devenue un Royaume à part, qui datait également de cette époque. Les ambitions égoïstes et insensées de certains courtisans eurent pour effet de déclencher un désastreux processus de désintégration nationale.

Par dessus tout, les interférences étrangères dans les affaires lao avaient causé des torts considérables au pays et au peuple lao, aussi bien dans le passé que dans le présent. Aujourd'hui encore, le même danger persiste, malgré l'appartenance du Laos à l'O.N.U. qui lui assure désormais une existence légale indiscutable. Et ce serait par la faute des Lao eux-mêmes, notamment de ceux qui, mus par des ambitions démesurées ou un besoin morbide de protection et d'appui stratégique pour leurs intérêts particuliers, iraient s'inféoder corps et âme à des maître étrangers, hypothéquant du même coup leur avenir, avec parfois même celui du pays.

et de diverses organisations de résistance, la réponse à la question ci-dessus est pour nous , plutôt sans équivoque : celle que l'histoire contemporaine lao a déjà fournie à plusieurs reprises. L'initiative en revient à celui qui, à présent, détient le " beau rôle ", c'est-à-dire le pouvoir gouvernemental, dont le Peuple Lao est en droit d'attendre et d'exiger ce qu'il convient de mieux à faire : démonstration concrète de volonté sincère de conciliation, magnanimité, haut esprit de sacrifice, etc...

Rappelons à cet égard, que les Gouvernements Lao qui se sont succédés au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, n'ont jamais failli à ce devoir lié à leur rôle naturel. Parfaitement conscients de la fragilité de notre jeune Indépendance Nationale nouvellement acquise, soucieux d'éviter à notre pays une imbrication dangereuse et inconsidérée dans une nouvelle forme de guerre idéologique qui n'avait pas de sens pour les Lao, nos anciens dirigeants n'avaient de cesse pratiqué la politique de la main tendue à la faction adverse du " Pathet Lao ", les " frères lao égarés et abusés par le Viêtminh " ; politique faite de compromis et de concessions sans fin, frisant parfois une extrême faiblesse coupable. Ce faisant, ils espéraient surtout parvenir au plus tôt à la réunification nationale lao, indépendamment même, s'il le faut, de tout ce qui aurait pu se faire comme règlement au Viêtnam. L'obtention du Statut de Neutralité Internationale en 1962 aurait pu être le couronnement de nombreuses décennies d'efforts et de sacrifices, et la dernière planche de salut pour le Laos, si tout cela n'avait pas été, hélas complètement saboté, violé en permanence, et finalement anéanti en Décembre 1975. Ce sont le Laos et le Peuple Lao qui ont finalement payé très cher le prix des règlements de compte entre les principaux belligérants et divers groupes d'intérêts plus ou moins obscurs.

( A suivre )

N.B.- Article inachevé à dessein, confié à la " TRIBUNE LAO " qui le publiera par fragments successifs. Il vise à poser les problèmes fondamentaux et à sonder les opinions. L'auteur a une étiquette politique, mais ne tient pas à en user, ni imposer ses vues ou sa conclusion. Les réactions des lecteurs sont cependant souhaitées et attendues, sous forme de questions, critiques ou suggestions, pouvant aider l'auteur à élaborer la suite du présent article. Le débat est maintenant lancé sur le thème de la réconciliation et de la réunification nationale lao./.