INTRODUCTION

Le Laos, jadis appelé LANXANG HOM KHAO, ou PAYS DU MILLION D'ELEPHANTS ET DU PARASOL BLANC, est enserré dans le hinterland indochinois par ses voisins. Il est bordé à l'Est par le Viêt-Nam, à l'Ouest par la Thailande et la Birmanie, au Nord par la Chine, au Sud par le Cambodge.1

Au temps du grand Roi FANGOUM, il s'étendait sur un vaste territoire situé de part et d'autre du Mèkhong et couvrant une superficie de 400.000 km2. Aujourd'hui, il est réduit à sa portion congrue limitée à l'Est du Mèkhong avec une superficie de 236.000 km2.2

Le territoire lao s'étire sur 1.100 km de longueur et est arrosé par le Mèkhong qui le parcourt longitudinalement sur 800 km et fait frontière entre lui et la Thailande. Le Laos se trouve donc entre 13 15 et 20 30 de latitude Nord et entre 97 50 et 105 de longitude Est (du méridien de Paris).

Selon la nature de son relief, il est divisé en Haut-Laos, avec un paysage accidenté dominé par les hauts plateaux et les hautes montagnes dans sa partie septentrionale - et en Bas-Laos qui se trouve dans sa partie méridionale, avec les plaines alluviales du Mèkhong et de ses affluents, et les bas plateaux situés à une altitude variant entre 200 m et 1.200 m.

Au point de vue démographique, le Laos est sous-peuplé, puisqu'avec une superficie de 236.800 km2, sa population totale n'est que : 1,012 million d'âmes en 1936, 1,320 million en 1970, 3,181 millions en 1973. Soit une densité moyenne de 12 habitants au kilomètre carré en 1973. 3

Sur le plan ethnique, le Laos est habité par une mosaïque d'ethnies qu'on a coutume de classer en 3 grands groupes : le groupe Thai-Lao, estimé en 1973 à 1.300.000 personnes - le groupe Proto-Indochinois, (appelé également Kha ou Lao Theung), estimé à 500.000 à la même date - le groupe Mèo-Yao, estimé à 600.000 personnes en 1973.

Avant la venue des Français, le Laos semble justifier cette phrase de Jean- Renaud dans "le Laos, dieux, bonzes et montagnes":

"Le Laos est toujours un pays peu connu, Le Laos a visiblement accumulé les obstacles pour protéger ou pour défendre ses montagnes, ses bonzes et ses Phis".4

C'est sous le règne du Roi SOULIGNA VONGSA (1633-1690) que le LANXANG, parvenu au faîte de sa puissance et de sa prospérité, avait attiré l'attention du monde. Sa notoriété était telle qu'elle parvenait aux Indes orientales et en Chine et incitait les Européens à venir le visiter. Ceux-ci se composaient de missionnaires et de marchands qui avaient contribué à le faire connaître au monde entier par leurs récits de voyage.

Parmi les missionnaires européens qui s'étaient rendus au LANXANG, il convient de citer le missionnaire jésuite piémontais Jean-Marie LERIA.

Celui-ci appartenait à la Compagnie de Jésus du Tonkin relevant du vicaire apostolique CORVINO DE Macao. Lorsqu'il fut désigné pour se rendre au LANXANG pour remplacer le père Jzean-Baptiste BORELLI qui mourut le 4 novembre 1638 dans la région de Muong Son (province de Samneua), il se trouvait encore au Cambodge.5 Alors, en compagnie de quelques Laos qui regagnèrent leur pays, Jean-Marie LERIA remonta le Mèkhong en pirogues. Au bout de 3 mois entiers de navigation il arriva à Vientiane le 14 avril 1642 en pleine fête du Nouvel An Lao. Il fut reçu à la Cour par le Roi SOULIGNA VONGSA "avec toute la courteoisie et une égale bonté" ainsi que par le Vice-Roi, "homme sage et aimable".6 Il séjourna au LANXANG jusqu'au 2 décembre 1647, soit 5 années, date à laquelle il quitta Vientiane pour retourner au Tonkin par le Mèkhong jusqu'à Paksane, puis par le Nam Sane jusqu'à Thathom, et de là, jusqu'à Muong Ngan-Muong Sèn et Nghê-An.7

Durant ses 5 années de séjour au LANXANG il passait son temps à sillonner et à observer le pays ainsi qu'à prêcher l'Evangile. De retour au Tonkin, il communiqua ses notes et ses observations au père jésuite gênois Giovanni de MARINI qui avait effectué 2 séjours au Siam (1641-1642 et 1673-1675) et passé 14 ans au Tonkin. Celui-ci s'en servait pour écrire sa "relation de voyage" en italien qu'il publia en 1663 sous le titre de "Delle missioni de Padri della Compagnia di Gesù nella Provincia del Giapone et particolamente di quella di Tonkino". Par la suite, cet ouvrage fut traduit en français par F. LE COMTE et publié en 1666 par l'éditeur GERVAIS CLOUZIER sous le titre "Histoire nouvelle et curieuse des Royaumes de Tunquin et de Lao" avec la partie concernant le LANXANG intitulé "Relation nouvelle et curieuse du Royaume de Lao". Il comportait une description du Royaume du LANXANG au temps du Roi SOULIGNA VONGSA en 13 chapitres que voici :

1) Sa position géographique -2) Coutumes du peuple -3) Roi et Gouvernement -4) Le bouddhisme lao -5) Les bonzes ou Talapoins -6) Influence des bonzes et fêtes du Roi -7) Tentatives apostoliques du père LERIA -8) Son voyage -9) Persécutions contre le père LERIA -10) Sentence d'exil -11) Transactions pour y rester -12) Résultats obtenus -13) Départ du père LERIA.8

Il en résulte que grâce à ce récit fait par le père DE MARINI on connaissait à peu près le Royaume du LANXANG qui était prospère "à cause de sa fertilité et de l'abondance des choses nécessaires à la vie, à sa puissante armée composée de ceux que l'on jugea capables de servir le roi à la guerre et de porter les armes".9

Il faudra attendre cent ans plus tard pour que quelques missionnaires se rendissent de nouveau au LANXANG : en 1883 le père PRODHOMME visita à nouveau Vientiane.

Quant à la visite faite par les autres Européens, elle concernait celle du sous- marchand néerlandais GERRIT VAN WUSTHOFF. En effet, celui-ci, accompagné par WILLEM DE GOYER et HUYBERT BOUDEWYNSZ, par un marchand lao du nom de INTSIE LANNAGH, fut chargé par le général Antoine VAN DIEMEN, gouverneur général des Indes néerlandaises, de porter au Roi du LANXANG, SOULIGNA VONGSA, une lettre. D'autre part, il fut chargé de prospecter les possibilités d'établir d'éventuelles relations commerciales avec le LANXANG. Après avoir remonté le Mèkhong en barque, il arriva à Vientiane vers mi-novembre 1641. Le 16, il fut reçu par le roi SOULIGNA VONGSA en son Palais. Celui-ci, âgé de 28 ans (23, selon VAN WUSTHOFF), le faisait admirer la fête du That Luang et le festival lumineux (Loi Kathong) sur le Mèkhong.

Laissant ses collaborateurs à Vientiane, VAN WUSTHOFF quitta Vientiane le 20 décembre 1641 pour se rendre au Cambodge. Après quoi il rédigea un rapport qu'il soumit au gouverneur VAN DIEMAN dans lequel il affirma qu'il était possible d'ouvrir au LANXANG un comptoir commercial pour la Compagnie des Indes orientales. Ceci fut consigné dans son récit de voyage intitulé "Voyage lointain aux Royaumes du Cambodge et du Laos par les Hollandais et ce qui s'y passait avant 1644", publié en 1669 par Casteleyn et relaté par Francis GARNIER en 1871 dans "Voyage lointain aux royaumes de Cambodge et Laouwen par les Néerlandais et ce qui s'est passé jusqu'en 1644".10

Il faudra attendre environ deux siècles plus tard pour que l'Europe s'intéressât de nouveau au LANXANG qui restait ignoré du monde, à l'exception de la période de la guerre siamo-lao de 1827-1828 au cours de laquelle il faisait parler de lui. Ainsi en 1836 Mgr. PALLEGOIX, évêque de Mallos, vicaire apostolique du Siam, publia une "Notice sur le Laos" dans le Bulletin de la Société de géographie, 2è série, tome V.

Depuis la parution de l'ouvrage "Histoire du Laos français" de Paul LE BOULANGER en 1931, certes il existe des thèses et des études relatives aux aspects particuliers du Laos durant une courte période donnée, mais on peut affirmer que jusqu'à présent il n'existe pratiquement pas d'ouvrage portant sur l'histoire contemporaine du Laos qui soit traité selon la méthodologie historique.

En vue de combler ce vide, nous avons pris le risque de traiter l'histoire contemporaine du Laos depuis l'exploration du Mèkhong jusqu'à nos jours, étude couvrant plus d'un siècle d'évènements. Ce modeste travail élaboré initialement sous la forme d'une thèse d'Etat ès-lettres présentée et soutenue au début de janvier 1990 à l'Université de la Sorbonne nouvelle de Paris a obtenu la mention très honorable, soit la plus haute mention. Par la suite, il a été amélioré à la lumière des recherches complémentaires. Il convient de mentionner que nous l'avons élaboré en consultant une masse considérable de documents officiels, d'archives, d'ouvrages, d'articles publiés en français, en anglais, en russe, en thai, en lao, en vietnamien, provenant des bibliothèques nationales, des ministères des affaires étrangères et des colonies (de France, de Grande-Bretagne, de Thailande), des témoignages et des interviews d'acteurs et d'observateurs des évènements du Laos. Ce travail historique n'a qu'une seule ambition : éclairer les lecteurs par les documents et présenter les faits quitte à laisser à ceux-ci la liberté de les interpréter. Pour notre part, nous nous efforçons de nous en tenir à la vérité historique, à la neutralité et à l'objectivité.

Toutefois, nous n'avons pu échapper aux erreurs et lacunes pour lesquelles nous demandons aux lecteurs avertis bienveillance, compréhension et même des observations et rectifications si besoin est.

Puisse ce travail être utile pour le peuple lao et mériter d'occuper une place qu'il mérite dans la bibliothèque de l'histoire des peuples et des civilisations.

Paris, 1er Mars 1992

N O T E S

1) LANXANG ou LANCHANG HOM KHAO, mot dérivé du pâli : Sri Satanaganahuta (ou Kung Sisatanakhahut), signifie selon Auguste PAVIE, Pays du million d'éléphants et du parasol blanc, et Cité des 7 nagas, ou Ville des 7 dragons, selon Louis FINOT (Cf. Histoire du pays de Lan Chhang Homkhao, Mission Pavie, p. 177).

2) BLANCHARD Wendell, Thailand. p. 59.

3) Annuaire statistique des Nations-Unies pour l'Asie et le Pacifique, 1976. p. 224.

-D'après le recencement de 1985 la population totale du Laos s'élève à 3.584.000 habitants dont 1.757.115 hommes et 1.827.688 femmes. Soit une densité moyenne de 15,1 hab/km2.

(Cf. Economist Intelligence Unit, Special Issue N 1985. p. 23)

4) JEAN-RENAUD, op.cit. p.11.

5) R.P. SION, "Voyage au Laos du Père LERIA", Bulletin des amis du Royaume du Laos. n 2, juillet-août-septembre 1970. p. 52.

6) Ibid., p. 53.

7) Ibid., pp. 56-57.

8) Paul LEVY le relata dans "Deux relations de voyages au Laos au XVIIè", France- Asie n 118-119, mars-avril 1956.

-"Note annexe sur le Père Jean-Marie LERIA, S.J. (1599-1665), premier missionnaire au Laos (1642-1648)", par le Père Marcel ZAGO, O.M.I.. Rites et cérémonies en milieu bouddhiste lao. Universita Gregoriana édit.. Roma 1972. pp. 49- 50.

9) Père Giovanni FILIPPO DE MARINI, op.cit., p. 343.

-Le Père DE MARINI faisait remarquer d'une part, "l'hostilité des bonzes envers le Père LERIA (p. 411) et faisait observer l'intégrité du Roi, et d'autre part, l'insolence, la conduite injurieuse et criminelle des mandarins envers le peuple (p. 346), l'existence de l'esclavage (p. 349) et de la monarchie absolue (pp. 356-359).

10) Francis GARNIER, "Voyage lointain aux royaumes de Cambodge et Laouwen par les Néerlandais et ce qui s'est passé jusqu'en 1644". Société de géographie de Paris. Septembre-Octobre 1871. pp. 248-289.

-Paul LEVY, "Deux relations de voyages au Laos au XVIIè siècle". France- Asie n 118-119. Mars-Avril 1956.

Histoire Contemporaine du Laos - Dr. Chou Nordindr _________________________________________________________________ _ ___________________________________________________ Diffusion interdite sans autorisation de l'auteur

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